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Return to Equinoxes, Issue 10 :Autonme/Hiver 2007-2008
Article ©2008, Allison Fong et Maria Moreno

« La pensée de l’errance débloque l’imaginaire, elle nous projette hors de cette grotte en prison où nous étions enfermés, qui est la cale ou la caye de la soi-disant unicité. (...)  Quel est ce voyage, qui serre sa fin en lui-même ?  Qui bute dans une fin !  L’être ni l’errance n’ont de terme – et le changement est leur permanence, ho ! – Ils continuent toujours. »             
Édouard Glissant, Tout-monde

S’égarer, se détourner, divaguer, vagabonder, voyager, se déplacer, aller, quêter, se tromper, être dans l’erreur : qu’entendez-vous par « errer »,« errance » ?

Acte et concept, l’on sait bien qu’ « errance » indique « mouvement ».  Toujours sommes-nous disposés, semble-t-il, à imaginer les nomades, les vagabonds, les exilés, les chevaliers, toute sorte de « voyageur à vie » effectuant un mouvement corporel, une traversée perpétuelle de l’espace géographique.  A toute époque, à l’ère biblique comme au XXIe siècle, la littérature témoigne de l’errant qui se déplace en zig-zag, par méandres ; qui tourne en ronde, suit des détours ; qui trace les courbes d’une marche en spirale.  A la fois étranger et autochtone, l’errant se perd dans des rues urbaines, familières ; il parcourt de vastes terrains, habite l’océan.        

Mais l’errance se reconnaît aussi (et peut-être avant tout) comme un mouvement mental, métaphysique.  Pensées, rêverie, enquête intérieure, questionnement narratif : l’errance intellectuelle, morale, c’est ce qui nous permet de nous soustraire aux ennuis journaliers, d’accéder à l’inconnu et l’interdit, de dépasser les limites, de transgresser les bornes.  Errer dans son esprit, errer dans son âme, errer sur la page.

Comme l’indique la résonance sonore (ainsi que l’étymologie du mot) « errance » est, bien entendu, aussi « erreur ».  Fautif, en défaut, ce mouvement écarte du droit chemin , se trompe en cours de réalisation, ignore les règles du jeu.  L’errance met en question ce qui est communément reçu comme étant d’une valeur absolue, d’une portée universelle : le droit, la vérité, la distinction entre le bien et le mal.    

Quoique l’errance porte une connotation négative et semble à première vue être un acte (de) marginal (nous entraînant loin du but visé, nous éloignant de la réalité), elle pourrait relever aussi d’une valeur positive, surtout chez les écrivains, les poètes, les artistes.  Et cela effectivement puisque l’errance est autre – méconnue, méprisée, sans valeur, incompréhensible.  Elle permet les détours et les découvertes. 

Si chez certains l’errance se traduit en liberté, affranchissement, elle s’impose chez d’autres sous forme de perte, de souffrance, de hantise.  L’errance peut être forcée, non voulue, une expérience ou une existence subie et non pas vécue.        

Comme l’en témoignent les articles présentés dans ce numéro d’Equinoxes, l’errance se répand polymorphe et polysémique dans toutes les disciplines, dans la littérature et la poésie comme dans l’art et la philosophie.  Egalement, nos auteurs l’entendent, l’apprécient et l’analysent sous des angles variés : des études littéraires à la linguistique et au mysticisme, de l’interprétation religieuse aux études sociologiques et identitaires.  Qu’elle paraisse parfois être un topos lointain, une abstraction insaisissable, l’errance est ici à votre portée de main, prête à vous emporter.   

 

Allison Fong et Maria Moreno, éditrices.